Lettre aux sénateurs

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Mouloud Aounit

Président du MRAP

43, boulevard de Magenta

75010 Paris

                                                             Président du groupe … au Sénat

                                                            Sénat

Palais du Luxembourg

75006 Paris

                                                                          Paris, le …

             OBJET :

Lettre ouverte au moment où votre groupe s’apprête à voter sur le projet de loi relatif à l’immigration

  

(Madame la Sénatrice/présidente, Monsieur le Sénateur/président, …)

 

Nous souhaitions nous adresser à vous, à l’heure où vous-mêmes et les sénateurs de votre groupe vous apprêtez à examiner le projet de loi relatif à « la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et au droit d’asile ». Ceci dans le souci de vous apporter quelques réflexions et précisions dont nous espérons qu’ils puissent contribuer à  nourrir votre analyse du nouveau projet de loi et de ses conséquences.

 En effet, il s’agit de la quatrième réforme législative relative aux migrants et aux personnes immigrées vivant en France, en quatre ans.  Après la loi « Sarkozy I » du 26  novembre 2003, la loi sur le droit d’asile votées du 10 décembre 2003, puis la loi « Sarkozy II » modifiant le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) du 24 juillet 2006, voici un nouveau projet de loi que vous serez appelés, en votre âme et conscience, à examiner, amender et voter.

 N’y aurait-il pas, tout d’abord, à s’interroger sur les raisons profondes de cette frénésie législative ? Le législateur prend-il véritablement la mesure de la gravité concrète de mesures qui touchent à des questions d’importance existentielle pour des millions d’hommes, de femmes, de familles partageant notre vie sur le sol français ? Comment ne pas y voir également une tentative de flatter une partie de l’opinion publique ?

 Concrètement, le nouveau projet de loi qui sera soumis au Sénat à partir du 2 octobre prochain comporte tout d’abord une série de mesures traitant du droit au regroupement familial. Ce dernier se voit davantage encadré, dans un sens restrictif. Après l’allongement des délais, passés en 2006 de 12 à 18 mois d’installation régulière du membre de la famille vivant en France – pour ne fixer que le point de départ d’une procédure qui prendra, très souvent, plusieurs années -, le voilà soumis à plusieurs nouvelles conditions très restrictives.

 Ces conditions tiennent, d’une part, aux ressources de la personne souhaitant faire venir sa famille en France, d’autre part à la surface de son logement. Si nous partageons évidemment le souci de ne pas acquiescer à des conditions de vie misérables en France, comme d’ailleurs dans les pays d’origine des migrants, l’approche choisie de caractère évidemment unilatéral, fait dépendre (lorsqu’il s’agit d’étrangers) - le droit fondamental de vivre en famille d’un  niveau de revenu pouvant atteindre 1,2 SMIC alors que, fort heureusement, une telle exigence ne saurait s’appliquer  aux familles françaises puisque aussi bien la décision n’a pas été prise de ne plus autoriser dans notre pays le versement de salaires de misère ou l’existence persistante de formes  d’habitat contraire à la dignité humaine. Ainsi, les victimes étrangères de ces phénomènes, seraient-elles, de plus, empêchées de vivre, comme la population française, auprès des membres de leur famille ?

 Les conditions de ressources telles que définies dans le projet  ont fait l’objet d’un  amendement adopté par la commission des lois de l’Assemblée nationale portant le seuil jusqu’à 1,33 fois le SMIC, ce qui aurait pour effet d’exclure un nombre encore plus important de familles du droit fondamental de « mener une vie familiale normale ». Nous nous félicitons, à cet égard, que la commission des lois du Sénat ait décidé de ramener le seuil exigible au niveau du SMIC. Et nous appelons de nos vœux une politique sociale et législative qui permette à la société dans son ensemble de bénéficier des condition d’existence plus dignes pour toutes et tous.

 En outre, le projet de loi introduit de nouvelles exigences portant sur les modalités d’acquisition de connaissances suffisantes de la langue française et des « valeurs de la République », à l’égard des demandeurs de visa tant dans le cadre du regroupement familial que du mariage d’un conjoint étranger(e) avec un(e) personne de nationalité française. Le MRAP, bien évidemment considère qu’effectivement, une bonne maîtrise de la langue française est un atout important qui favorise le « vivre ensemble » dans notre société. Il considère cependant qu’une telle préoccupation légitime – d’autant plus que « le droit à la langue française » est revendiqué par un certain nombre d’organisations de l’immigration - se trouve pervertie si elle doit être utilisée – comme nous avons toutes raisons de le redouter -  aux fins d’exclure des personnes du droit légitime de venir en France pour rejoindre un parent ou un conjoint.

 Au nom de l’exigence d’ « intégration », on risque fort de voir exclure des personnes de toute chance de pouvoir, un jour, s’intégrer selon leur souhait dans la société française. En effet, le projet de loi prévoit, pour les personnes dont on estimerait qu’elles ne possèdent pas le niveau de connaissances linguistiques exigibles (déterminées par qui et selon quels critères ?), de les soumettre à l’obligation de suivre dans leur pays de résidence - dans des conditions peu compatibles avec un habitat éloigné des capitales ou de grands centres urbains et la nécessité de  disposer (particulièrement pour un enfant de 16 ans à 18 ans) d’un habitat et de ressources adéquates pendant le stage - une formation d’une durée de deux mois qui devra faire l’objet d’une évaluation tout aussi problématique. En bref, à défaut d’une formation scolaire en langue française dans le pays d’origine ou de résidence des futur(es) regroupé(es), ces personnes se trouveront, dans un grand pourcentage de cas, exclues de facto du droit de demander à pouvoir vivre en famille.

 L’attribution du visa sera soumise à la condition d’avoir pu obtenir le certificat de participation à un tel stage. En outre, qui pourrait croire qu’une personne étrangère  puisse réellement « apprendre le Français » au cours d’une formation dont la durée est limitée à deux mois ? Ne serait-il pas nettement plus réaliste de considérer que la présence effective de la personne en France, et donc son « immersion » dans la société française, serait un gage autrement plus efficace pour s’assurer de son acquisition de la langue ? Ceci correspond d’ailleurs tout à fait à l’esprit du Contrat d’Accueil et d’Intégration tel qu’il existe actuellement et qui, fin novembre 2006, avait déjà été signé par plus de 200. 000 personnes.

 Dans la perspective d’une volonté de réduction draconienne de l’immigration familiale en France – qui serait hautement décriée par la France si des mesures similaires devaient quelque jour être appliquées aux citoyens français désireux de rejoindre leurs parents ou conjoints  français ou étrangers dans un pays étranger  de nationalité ou de résidence - il n’est que trop évident que cette obligation de stage  avant l’arrivée en France constitue l’un des moyens de mettre un frein non seulement au regroupement familial mais aussi au droit de tout citoyen français d’aimer et d’épouser le conjoint de son choix

 Quant au très fameux « amendement ADN » introduit par la commission des lois  de l’Assemblée nationale puis voté pour deux ans « à l’essai » par cette dernière, le MRAP se félicite hautement de sa suppression par la commission des lois du Sénat et en appelle à tous les groupes du Sénat pour voter unanimement le rejet de cet amendement lors de la lecture du projet la semaine du 2 octobre. Une telle disposition est contraire à la loi de bioéthique de 1994, confirmée en 2004 qui dispose, qu’ en France, les tests génétiques à des fins autres que scientifiques ou médicales sont interdits par l'article 16 du code civil, sauf dans des cas graves et sous contrôle judiciaire. La France, au nom d’une lutte contre le caractère frauduleux ou l’inexistence de pièces classiques d’état-civil portant sur quelques milliers à peine d’enfants étrangers candidats au regroupement chaque année, balaierait  donc les principes d’éthique votés par la représentation nationale,  banaliserait  de manière discriminatoire pour les étrangers une démarche que le législateur avait voulue exceptionnelle pour les Français, rompant de manière injustifiable avec les fondements du droit républicain. 

 Le MRAP s’inquiète également de la possibilité, introduite par l’article 20 du projet de loi tel qu’il résulte d’un amendement de l’Assemblée nationale, de procéder à des collectes de données à base « ethnique » en France. Certes, la nouvelle disposition est animée de la volonté de mieux connaître la composition de la population française afin d’être mieux à même de combattre les discriminations.  Il y a néanmoins lieu de s’inquiéter des dérives qui ne manqueraient pas de résulter de cette ouverture faite aux « statistiques ethniques ». Jusqu’à présent, une précaution salutaire avait empêché l’introduction de données relatives aux « origines ethniques » des personnes dans des statistiques et des bases de données. L’enjeu, là encore, est de taille. Il importe au plus haut point que la Haute Assemblée exerce sa vigilance car l’histoire nous enseigne hélas les détournements tragiques dont ont pu faire l’objet des fichiers « raciaux » ou « ethniques ».

 Nous souhaitons exprimer la plus vive inquiétude, en matière de droit d’asile, quant au délai de recours de 24 heures contre une décision de refus d’entrée sur le territoire français au titre de l’asile. Ni la procédure de référé retenue ni le délai de 24 heures ne sont, à nos yeux, de nature à permettre à la France de tirer les leçons de sa condamnation par la Cour Européenne des Droits de l’Homme dans son jugement du 26 avril 2007, en raison de l’absence de recours suspensif pour les étrangers maintenus en Zone d’Attente.

 S’agissant des procédures d’asile sur le territoire français, le raccourcissement d’un mois à quinze jours du délai de recours devant la CRR ( future « Cour Nationale du Droit d’Asile ») dont disposent les demandeurs d’asile déboutés en première instance par l’OFPRA, nous semble inacceptable,  s’agissant de personnes en situation traumatique,  précaire et d’isolement, à peine arrivées sur le territoire français, désorientées par le changement de lieu de vie et les difficultés liées à la maîtrise de la langue. L’obligation de déposer un recours entièrement rédigé en langue française et comportant tous les éléments de preuve disponibles – éléments de preuve que des personnes victimes de persécution émanant de leurs propres autorités nationales ont le plus grand mal à réunir -  conduira à ce que de nombreux demandeurs d’asile restent « sur le bord de la route ». Alors que, jusqu’à présent, la majorité des dossiers de personnes sollicitant la protection de la France étaient reconnus devant la CRR, et non pas en première instance devant l’OFPRA, il est indubitable que le raccourcissement de moitié du délai de recours multipliera à l’avenir le nombre des personnes indûment exclues du bénéfice du droit d’asile par le fait des difficultés de la procédure.

 Nous sommes confiants, (Madame, Monsieur,) que vous-même et les membres de votre groupe auront à cœur de tenir compte des enjeux humains, sociétaux et humanitaires évoqués ici, au moment où vous serez appelés à examiner puis voter les différentes dispositions du nouveau projet de loi relatif à l’immigration.

 Nous vous prions de bien vouloir agréer, Madame la Sénatrice, Monsieur le Sénateur,   l’expression de notre haute considération   

 

 

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Cette page a été mise à jour le dimanche 09 novembre 2008

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